ALI, IMMIGRÉ SANS RETRAITE
Ali, 73 ans de courage.
Cet article est un témoignage bouleversant : « c’est l’histoire d’un mec », un pakistanais auquel ont été offerts en guise de jeunesse, l’extrême violence paternelle, des coups de toutes parts, des humiliations, des abus sexuels, la faim, le manque,… de tout ! Une mère sans pouvoir, ni espoir. Il s’est confronté sans répit à la misère avec un courage qui finit par fait effet, après les terribles dangers de mort de laquelle il a réchappé à maintes reprises. Sans jamais lâcher prise, il a gagné, à force de volonté, mieux que l’argent qu’il n’a jamais brigué, l’amitié sincère des nombreux « clients » des bistrots chics de Saint-Germain des Près où il a élu domicile depuis 53 ans ; quand on parle « domicile », on parle rue, portes-cochères et autres gites de fortune jusqu’à ce que lui soit accordé 20 ans après son arrivée, un logement digne de ce nom, un logement social.
Aujourd’hui, Ali est l’emblématique figure devenue familière à tout le quartier latin qui l’a adopté. Il ne faut pas croire que sa vie de vendeur de journaux à la volée soit facile pour autant : comme pour une vente à la bougie, il doit attendre que la pile de journaux soit écoulée pour prendre un peu de repos après des heures de marche ou de vélo quotidiennes par n’importe quel temps -froid, vent, pluie, canicule- ! C’est le professeur Choron qui l’a remis en celle après tant de malheurs : Ali lui voue une reconnaissance éternelle pour lui avoir a offert un endroit où dormir et son premier « job » de vendeur de journaux à la criée -Hara Kiri et Charlie Hebdo- ; il s’en satisfait depuis et son sourire, ses blagues, son honnêteté en font un personnage estimé et respecté ce qu’il tient pour suprême victoire.
Autre fierté ! Il a tenu, quand l’adversité a commencé à tirer sa révérence, les promesses qu’il s’était faites : acheter une maison pour sa grand-mère ; c’est fait ! Continuer à observer la morale qu’il s’était dictée : c’est fait ! Retourner au pays : raté ! Il envoie de l’argent à sa famille et sa famille préfère qu’il reste là bas en France et qu’il continue à envoyer, des sous !!!
- À VOIR : Interview de Ali
La vie d’Ali, en live et en 3 volumes
En 2005, est publié le premier livre d’Ali Akbar : « Je fais rire le monde… mais le monde me fait pleurer » ! Il y raconte son histoire éprouvante depuis le début, ses péripéties, son entrée en France, son combat quotidien pour s’insérer dans la société, jusqu’à sa vie normalisée de père de famille dans un foyer composé de sa femme venue le rejoindre du Pakistan et des 5 fils qu’elle lui a donnés.
Il est suivi d’un deuxième livre : « La fabuleuse histoire du vendeur de journaux », sorti en 2009 ; le destin ne donne pas à Ali la richesse mais Ali préfère à l’argent la fierté d’avoir une vie honnête, de voir l’un de ses fils entreprendre des études supérieures, d’être aimé par ses « habitués » du Quartier Latin et de voir ses amis Willem, Plantu, Wolinski, Cabu proposer d’illustrer son livre de leurs dessins humoristiques.
Ali Akbar revient à l’édition en 2021 avec un format plus petit et concis, illustré, une sorte de petit message, façon la Fontaine, destiné aux jeunes pour leur faire croire au rêve qu’il y a une chance de passer de misérable à honnête sans passer par la case voyou.
Il y a en France 350 000 immigrés âgés de plus de 65 ans, dont un tiers seulement possède déjà la nationalité française.
Situation financière d’Ali à 73 ans : Shabah, l’un des 5 fils d’Ali, a bien voulu répondre à mes questions sur sa situation financière d’immigré.
– La demande d’asile d’Ali a-t-elle été acceptée et quand ?
« Mon père n’a jamais fait de demande d’asile. Il a été naturalisé français au début des années 1980, à l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, dans un contexte politique plus favorable à la régularisation des personnes étrangères présentes de longue date sur le territoire. C’est à cette période qu’il a pu enfin obtenir des papiers en règle et commencer à construire une vie plus stable en France. »
– Comment est-il rémunéré pour ses ventes à la volée, et par qui ?
« Aujourd’hui, il travaille comme vendeur à la criée avec la société Proximy, qui lui fournit les journaux qu’il vend dans la rue, à la voix, avec une méthode à l’ancienne qui marque souvent les passants. Il n’est pas salarié de l’entreprise, mais rémunéré en fonction de ses ventes, ce qui exige une grande constance, beaucoup d’endurance et une énergie remarquable, surtout à son âge. Toutefois, ce système lui convient bien mieux. »
– Quels droits a-t-il pu obtenir sur le sol français ?
« Pendant longtemps, mon père et sa famille ont vécu dans des conditions très précaires. Il a attendu plus de vingt ans avant de pouvoir bénéficier d’un logement social -une période particulièrement difficile-. Il a toutefois pu accéder à certaines aides de l’État, notamment les allocations de solidarité, qui lui ont permis, petit à petit, de vivre dans un cadre un peu plus stable. »
– Reçoit-il une retraite, une aide financière, une allocation ?
La retraite qu’il perçoit aujourd’hui est extrêmement modeste. Cela s’explique par le fait qu’il a souvent travaillé dans des conditions non déclarées. Beaucoup d’employeurs, à l’époque, choisissaient de ne pas déclarer les travailleurs immigrés – un choix qui les arrangeait mais qui a privé nombre de ces travailleurs de droits fondamentaux à long terme -. Mon père garde une forme de gratitude envers ceux qui lui ont permis de travailler, mais il est lucide sur le fait que ces opportunités se faisaient souvent dans un cadre déséquilibré, à son détriment. »
– De quoi va-t-il vivre lorsqu’il arrêtera de travailler ?
« Il ne compte pas s’arrêter. À 73 ans, il est encore plein de force et d’envie. Il dit souvent que c’est justement ce travail quotidien, dans la rue, qui lui permet de rester en forme physiquement et mentalement. Tant que son corps le lui permettra, il continuera à se lever chaque matin pour aller vendre ses journaux et maintenir ce lien vivant avec les gens. »
- À VOIR : Interview de Ali (suite)
VENDEUR DE JOURNAUX PHOTOGRAPHIÉ PAR STANLEY KUBRICK AU MILIEU DU 20ÈME SIÈCLE. Stanley Kubrick (1928 – 1999) a 13 longs métrages à son actif : il en fut à la fois scénariste, réalisateur, mais aussi directeur de la photographie. Car ce maître du cinéma, autodidacte autant que prodigieux, fut avant tout un photographe passionné, qui se forma à l’image derrière l’objectif d’un appareil photo avant de se tourner vers la caméra.